Un terrier parmi les trésors enluminés de Saint-Omer : le registre de l’hôpital Saint-Jean-Baptiste d’Aire-sur-la-Lys (1404) (par Justine Lavogier)

A la bibliothèque de l’agglomération de Saint-Omer, sous la cote ms. 858, se trouve un témoignage rare des possessions foncières d’un hôpital médiéval d’Aire-sur-la-Lys.

L’hôpital Saint-Jean-Baptiste en bref. Fondé en 1228 par l’évêque Adam de Thérouanne, l’hôpital est situé sur la Haise rue (aujourd’hui rue de Saint-Omer) ; c’est alors l’un des quatre hôpitaux de la ville d’Aire au Moyen Âge avec l’hôpital des bourgeois qui lui fait face, l’hôpital Sainte-Brigitte au Nord des deux précédents qui accueille principalement des femmes et la maladrerie, que l’on trouve hors des murs de la ville d’Aire, sur le mont Saint-Martin. A l’époque moderne, l’hôpital Saint Jean-Baptiste devient en partie militaire ce qui lui permet d’accueillir un personnel médical plus important dont les habitants d’Aire peuvent profiter. L’hôpital ferme ses portes en 1991 et la ville d’Aire compte désormais sur son hôpital local situé quai des bateliers.


En octobre 1404, Jacques le Berquier et Jean Bauberel sont chargés par les membres de la municipalité d’Aire-sur-la-Lys (les échevins) et les chanoines de la collégiale Saint-Pierre d’Aire de réunir dans un registre de parchemin l’ensemble des revenus et dépenses fixes de l’hôpital Saint-Jean-Baptiste pour une année. Ce registre nous est parvenu sous la cote 858 à la bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer et se compose de quatre parties : la première dresse une liste des rentes que l’hôpital perçoit à différentes dates de l’année (saint Rémy, Noël, Pâques et saint Jean-Baptiste) sur des maisons situées dans la ville d’Aire, la deuxième est une description des terres qui appartiennent à l’hôpital, la troisième une liste des rentes que l’hôpital doit payer et la dernière partie est la liste des actes juridiques prouvant que l’hôpital peut percevoir des rentes sur les biens décrits dans la première partie. C’est donc un terrier-rentier, puisqu’il décrit les rentes et terres de l’hôpital associées à la preuve juridique de leur légitimité. Ses rédacteurs sont alors respectivement chanoine de l’église Saint-Pierre et clerc de la ville d’Aire, et exercent la charge de gouverneur de l’hôpital sous l’autorité conjointe de la ville et du chapitre. En tant que tels, ils ont la charge de tenir ensemble les comptes de l’hôpital, de s’assurer de l’effectivité de ses rentrées d’argent et de gérer les dépenses nécessaires à l’activité de l’hôpital.

L’hôpital au Moyen Âge. Au Moyen Âge, l’hôpital fonctionne comme une seigneurie destinée à aider les pauvres et les malades : c’est ce que Michel Mollat appelle la « seigneurie du pauvre ». La plupart des hôpitaux dispose de rentes annuelles qui lui assurent un revenu fixe et de terres qu’il cultive ou qu’il loue afin d’en retirer un bénéfice, bénéfice qu’il a pour devoir de mettre à disposition des pauvres. Car au Moyen Âge, l’hôpital s’apparente davantage à un bureau de bienfaisance chargé de soulager la misère qu’un lieu de soins destiné à accueillir les malades. Les mieux lotis peuvent recourir à des « gens de médecine » (guérisseurs populaires ou barbiers le plus souvent). Les maladies jugées infectieuses par les hommes de l’époque se retrouvaient cantonnées dans les maladreries, situées en dehors des villes pour limiter la contagion. L’hôpital médiéval est avant tout le refuge des pauvres permanents ou passagers ; y séjournent aussi bien les nécessiteux de longue durée, qui, pour des raisons variées ne parviennent plus à subvenir à leurs propres besoins, des femmes enceintes seules ou en difficulté recherchant un abri pour mettre au monde leur enfant, des pauvres malades en fin de vie qui s’y réfugient pour apaiser leurs dernières souffrances ou encore des pèlerins qui, en bonne santé, cherchent le gîte et le couvert sur le chemin de leur pèlerinage. Ainsi, faire un don à un hôpital revient indirectement à faire un don au pauvre, autrement dit à se ménager un chemin vers le paradis ; le pauvre, c’est le reflet du Christ de la religion chrétienne et il appartient au chrétien de l’assister. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir le patrimoine immobilier des hôpitaux augmenter grâce à des dons, ou de relever dans la comptabilité hospitalière des dons en argent conséquents à la mort d’un riche personnage.
 

Pour faire face à ses dépenses et pour secourir les plus démunis, le terrier nous apprend que l’hôpital Saint-Jean-Baptiste dispose de 42 hectares de terres répartis en 36 parcelles situées tout autour de la ville d’Aire : au mont Saint-Martin, à Widdebrouck, à la Couture ou encore au mont de Biennes. Il bénéficie aussi d’une centaine de rentes qui lui assurent des revenus fixes. Le registre ainsi réalisé est destiné à devenir l’outil de travail des gouverneurs ; dedans, ces derniers ont désormais la liste précise des personnes (ou débirentiers) qui doivent verser chaque année une rente à l’hôpital, et l’acte juridique qui prouve que cette rente doit être perçue. Ces rentes sont toujours assignées sur une maison située à Aire-sur-la-Lys, dont la localisation est aussi précisément que possible établie par le registre : le nom des voisins apparaît, le nom des héritiers du débirentier aussi, le nom de la rivière qui passe éventuellement près de la maison, le type de bâtiment qui la borde… C’est une véritable carte de la ville d’Aire qui s‘y cache et un annuaire (incomplet) des habitants d’Aire-sur-la-Lys au Moyen Âge.

En 1404, Simon du Prey doit par an à l’hôpital 10 sous et 6 deniers pour une maison qu’il occupe au bourg d’Aire (au sud est de la ville). Cette maison à l’époque est connue à l’époque sous le nom d’hôtel au croissant, et elle est voisine de celle de la veuve et des héritiers de Gilles Broutin, quant à elle connue sous le nom d’hôtel au faucon. De l’autre côté, Simon du Prey est le voisin de Mahieu le Taintelier. Simon du Prey paie sa rente à l’hôpital en deux fois : il en verse la moitié à Noël, et l’autre à Pâques.

Une rente due au terme de Noël

 

Par an, l’hôpital Saint-Jean-Baptiste perçoit ainsi 26 livres parisis et 12 sous de rente, sans compter les rentes en natures (céréales, chapons, légumineuses) qui lui sont versées soit en nature soit en argent à partir au cours en vigueur. En matière de revenus, l’hôpital ne dispose pas que de rentes ; il peut aussi compter sur les 42 hectares de terre (répartis sur 36 pièces de terre) qu’il possède autour de la ville d’Aire, terres qu’il a pu exploiter lui-même mais qu’il loue le plus souvent à des particuliers. La preuve de ces locations ne nous est cette fois pas connue par le registre seul ; chaque année, les gouverneurs faisaient rédiger par un scribe les comptes de l’hôpital, qui se basent sur les informations du terrier pour établir le montant des recettes et des dépenses fixes, et y ajoutent les recettes extraordinaires (dons, recettes sur la vente de mobilier…) et dépenses dont le montant varie mais qui sont nécessaires à la bonne marche de l’établissement (dépenses en bois de chauffage, en nourriture pour les pauvres, sommes d’argent versées par mois à des pauvres de la ville, travaux de réfection des bâtiments…). Ils étaient rédigés à la fin de chaque année comptable (la saint Rémy en octobre), trois cahiers de compte qui retracent l’ensemble des dépenses et recettes de l’hôpital survenus dans une année. L’un est destiné à la ville, l’autre au chapitre, et le dernier à l’hôpital. De ces cahiers de compte il nous reste aujourd’hui la série de cahiers ayant appartenu à la ville d’Aire-sur-la-Lys couvrant la période 1403-1453, conservés aux archives municipales d’Aire sous la cote GG 171 et GG 172. Dans ces comptes, nous apprenons qu’en moyenne, la location des terres de l’hôpital lui rapporte 70 livres parisis entre 1404 et 1453.

Toutes les informations contenues dans le terrier au premier plan desquelles le nom des débirentiers du terrier est mis à jour chaque année dans cette série de compte. Couplés au terrier, ils nous donnent un aperçu assez clair du fonctionnement d’un hôpital médiéval et la manière dont ses gouverneurs géraient ses revenus constitue un indicateur de la façon dont les hôpitaux devaient gérer la pauvreté en ville. Cette gestion passe par la création d’outils appropriés, dont le registre 858 est un bon exemple. Le compte nous apprend que sa création aura coûté à l’hôpital Saint-Jean-Baptiste un peu moins de 8 livres parisis (encres, parchemins, reliure et salaire du scribe compris). C’est le tiers de ce que perçoit l’hôpital chaque année pour la centaine de rentes qu’il possède sur des maisons situées à Aire-sur-la-Lys. Ce registre est donc, comme tous les livres et registres médiévaux, une pièce de grande valeur à la fois matérielle et immatérielle, tant les informations qu’il renferme sont rares (peu de terriers hospitaliers nous sont parvenus) et précieuses.