Saint-Omer, BASO, ms. 34, f. 1v. : un exemple d’exégèse visuelle (par Rémy Cordonnier)

Qu’est-ce que l’exégèse médiévale ?

L’exégèse est l’interprétation philologique et doctrinale d’un texte dont le sens, la portée sont obscurs ou sujet à discussion. A l’époque médiévale, dans l’Occident chrétien, cette pratique herméneutique porte principalement sur le texte biblique.

La raison de ce travail d’interprétation est à chercher dans l’histoire chrétienne du Salut. Depuis la Chute l’homme a détourné son regard de la contemplation divine pour lui préférer sa création. Sa vision spirituelle s’est obscurcie et sa connaissance de Dieu s’est appauvrie. Pourtant, Dieu n’a pas abandonné l’humanité. Il continue de communiquer avec les hommes à travers la Création, les Prophètes et les Écritures. Mais son langage d’une infinie richesse est désormais trop subtile pour l’esprit avili de l’homme, qui ne peut en approcher le sens qu’au moyen d’une exégèse.

L’interprétation de la bible à fait l’objet d’une attention particulière par les autorités religieuses depuis les pères de l’église. L’un des principes qui la régissent consiste à déterminer plusieurs niveaux de sens au langage divin. Fondamentalement il existe deux sens principaux: le sens historique ou littéral, qui correspond à ce qui est raconté au premier degré dans le texte, et le sens mystique en qui correspond à sa signification allégorique.

Au-delà de cette première lecture binaire, plusieurs autres catégories de significations allégoriques sont définies en fonction de leur application à tel ou tel domaine de la théologie : éthique, dogmatique, ecclésiologique, christologique, etc. Le plus souvent les exégètes distinguent trois ou quatre sens allégoriques, qui sont toujours à peu près les mêmes en dépit de variations dans la nomenclature et de subdivisons de ces catégories qui apparaissent chez certains auteurs.

  • Tropologique (ou moral, portant sur les mœurs) = signification en rapport avec l’âme du fidèle et la pratique des vertus.
  • Mystique = signification en rapport avec le mystère du Christ et de l’Église appliqué à des réalités visibles ; l’une des ses expression les plus répandues est la typologie qui voit dans un personnage le “type”, c’est-à-dire l’empreinte, la préfiguration, du Christ ou de l’Église) : sa signification en rapport avec le mystère du Christ et de l’Église.
  • Anagogique = signification en rapport avec l’assemblée des bienheureux lors de la résurrection.


Hugues de Fouilloy
donne une très bonne expression de cette quadruple interprétation dans son De Claustro anime : « En vérité quatre cités ont été rapportées dans les divines Écritures, qui peuvent être nommées du seul nom de Jérusalem, il s’agit des cités, matérielle et mystique, morale et anagogique. La Jérusalem matérielle est cette cité qui se trouve en Judée, la mystique c’est l’Église, la morale c’est toute âme fidèle, l’anagogique est la patrie céleste. La première est construite de pierres et de bois ; la seconde de justice et avec justesse ; la troisième de vertus ; la quatrième par les anges et les hommes. La matérielle un jour sera détruite, la mystique sera transférée, la morale sera édifiée, l’anagogique en vérité est immuable pour l’éternité. La première contient les choses et les actes, la seconde les figures des mystères, la troisième les exemples moraux, la quatrième les diverses maisons célestes ».

Hugues de Fouilloy, Le cloître de l’âme, IV, i (PL, 176, c. 1131D) : Quatuor siquidem civitates in divina Scriptura fuisse perhibentur, quarum unaquaeque Hierusalem nuncupatur, id est, materialis et mystica, moralis et anagogica. Materialis Hierusalem est quaedam civitas in Judaea posita, mystica vero est Ecclesia, moralis quaelibet fidelis anima, anagogica cœlestis patria. Prima constat ex lapidibus et lignis ; secunda ex justis et justificandis ; tertia ex virtutibus ; quarta ex angelis et hominibus. Materialis aliquando destruetur, mystica transferetur, moralis aedificabitur, anagogica vero in aeternum non commovebitur. Prima continet res gestas, secunda mysteriorum figuras, tertia exempla morum, quarta diversitates cœlestium mansionum.


Qu’est-ce que l’exégèse visuelle ?

L’exégèse scripturaire est une pratique essentielle de la vie religieuse, qui va également influencer les arts figuratifs lorsque ceux-ci sont produits par et pour le clergé. On parle alors d’exégèse visuelle, qui consiste à projeter l’interprétation exégétique d’un passage biblique sur une composition picturale. C’est en suivant ce principe qu’a été composée l’initiale I historiée qui ouvre une copie des commentaires sur la Genèse d’Origène d’Alexandrie, composée par un moine de Saint-Bertin vers 1125-1130.




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Cette lettre joue un rôle de frontispice, et s’offre en quelque sorte comme un résumé ou une synthèse du contenu doctrinal du traité. Elle permet d’embrasser en un seul regard l’intégralité de l’œuvre, servant à la fois de résumé, de support pour la méditation, et d’aide mémoire sur le contenu du traité.

Nous avons là un diagramme illustré, bien que la dimension ornementale de cette composition tend à faire disparaitre cet aspect. Il  associe des passages textuels et leur iconographie à une structure géométrique composée de cercles et de quadrilatères. Réduite à sa structure, cette composition apparait comme un emboitement de bordures rectangulaires, avec une série de médaillons au centre, et une série de citations bibliques à l’extérieur.

 

Lorsque l’on analyse cette composition, on se rend compte que chaque partie de l’image correspond à un des sens scripturaires :

 

  • Au centre se trouvent le sens historique, c’est à dire une série de passages de la genèse.
  • Dans les médaillons plus petits placés dans la bordure se trouvent les personnifications des vertus qui illustrent le sens tropologique.
  • Le sens mystique, est évoqué par les passages bibliques qui encadrent le tout, et tissent des liens typologiques entre les différents épisodes représentés.
  • L’anagogie est illustré par le sens de lecture descendant puis ascendant que génère cette composition. On lit en effet l’histoire de haut en bas comme un récit, mais son analyse exégétique elle ne prend sens qu’à travers la remontée à travers les vertus : jusqu’à la Sagesse Divine.